L'Image Culte, 2014
« “Dieu est partout en toutes choses.” En illustrant et en affichant ce postulat, Rome en a fait une réalité visible. Le propos religieux est affirmé et confirmé par sa présence picturale permanente, le mystère y est médiatisé. De religieux, l’art y est devenu religion. De l’image culte au culte de l’image. »
Rome, ville éternelle aux fondations mythologiques, est l’un des berceaux de la chrétienté : la seule des trois religions monothéistes principales qui autorise la représentation du divin. Avec près de 900 églises, la ville qui enserre l’État pontifical du Vatican est l’épicentre du catholicisme. Invitée dans le cadre d’une résidence à la villa Médicis, Chantal Stoman y découvre l’infinité de signes religieux présents jusque dans l’espace intime des habitants sur lesquels elle concentre son regard. Du silence des églises désertées à celui des appartements, du Caravage aux bondieuseries sur cartes postales, les images du culte se déclinent sous toutes les formes et sur tous les supports : crucifix, autels, icônes, photographies mais aussi calendriers, horloges ou tatouages…
« Comme un archéologue le ferait d’un site fragile à ciel ouvert, l’œil de Chantal Stoman fouille et gratte de son objectif-pinceau le feuilleté d’images sacrées. Elle met ainsi au jour les couches sédimentées d’une ferveur profane et protéiforme. Comment ne pas s’enchanter, comme elle, de cette profusion, et des surprises qu’elle réserve ! Où que le regard se pose, l’image est là qui palpite, avec plus ou moins d’intensité, dans les lieux les plus ordinaires. »
Plus qu’une observation purement religieuse, elle pose les fondements d’une étude iconographique. En dressant le portrait de la ville à travers ses icônes, elle dévoile une part de son fonctionnement culturel et de son rapport aux images en général. « Partout des croix : croix de bois innocemment suspendue sur l’étoffe blanche de l’aube d’une première communiante, ou croix de fer dans la vision de ce crucifix, perdu au milieu des dizaines d’images fétiches – dont un poster de l’AS Roma saison 82/83 (…) L’image sacrée – logotype ou narration – est partout. Elle n’ignore aucun lieu, aucune situation, ne fait pas de manière pour s’afficher. »
En ouverture de son livre, Chantal Stoman choisit de restituer un verset du Talmud, l’un des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique qui rassemble les commentaires principaux de la Torah : « l’invisible paraît toujours rayonner dans le visible ». Précisément, si ces icônes romaines se donnent à voir et « rayonnent » dans l’œil de la photographe, c’est peut-être parce que sa propre religion est aniconique. À l’inverse, que reste-t-il de leur sacralité pour qui les fréquente au quotidien ? Leur présence est-elle la cause ou la conséquence de la religiosité diffuse qui enveloppe la ville de sa lumière douce et mystérieuse si caractéristique ? L’icône, « Comme une étoile qui continuerait d’émettre très faiblement son signal, son clignotement lumineux – silencieuse palpitation d’une foi fatiguée mais qui troue encore la nuit. Mais pour combien de temps ? »